Thomas est tout seul, un projet original de création littéraire.



Thomas est tout seul
est un projet original de création littéraire où il vous est proposé de suivre en ligne et en direct la progression d'une (auto?) fiction.
L'un des objectifs de ce projet est de tester la possibilité d'un roman "participatif" intégrant l'avis ou le point de vue du lecteur dans le travail du rédacteur.
Vous êtes donc invités à prendre contact avec l'auteur-rédacteur afin de lui soumettre vos avis, souhaits, doutes ou suggestions. Ceci dans le seul but de faire exister Thomas et de déplacer la frontière entre la fiction et le réel.
Les différents textes à venir seront publiés dans leur ordre chronologique ("Jour 1", "Jour 2"...), prenez garde à ne pas lire les publications dans le désordre si elles se trouvent dans les archives, reportez-vous à la rubrique "libellés" qui fera office de sommaire.


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Bonne lecture !

Céline Raux.

mardi 8 avril 2008

THOMAS - JOUR 5 -

L'énigme freudienne du ciment. Arthur. Le grain de sable et la pièce de puzzle.

Cette nuit-là, je rêvai qu’on me coulait dans du ciment derrière le bloc sanitaire du camping de la Grande Motte. Après quoi je m’éveillai perplexe, une heure environ avant que ne sonne mon radio-réveil.
Je ne peux pas dire que les rais d’une lumière aurorale et dorée filtraient à travers les persiennes car, ce matin-là, il pleuvait. Et je n’eus pas besoin d’ouvrir en grand les volets pour deviner que le ciel ne proposait qu’une grande variété de gris. Pour le savoir, il me suffisait de m’emmitoufler dans ma couette et d’écouter la pluie tomber.
Je pensai au Grand Hominarium. Je me demandai aussi pourquoi est-ce que je m'étais à ce point mis en tête de sonder une à une l'âme des hommes. Au fond de moi je le savais pourtant. Ou plutôt le sentais-je. J'avais du mal à symboliser ce désir par des mots.
Je levai la tête pour jeter un coup d'œil à l'aquarium. Dans la pénombre de l'aube hésitante, je vis Arthur dessiner d'invisibles cercles concentriques. Nageant trop près de la paroi de verre, il s'y cogna. Arthur s'était réveillé en silence. J'avais envie de croire que ses tribulations circulaires lui valaient d'intenses réflexions sur la nature du nombre pi. A moins qu'il ne fut en train de comploter quelque chose ou de fomenter une quelconque tentative d'évasion. Mais cela ne se produisait jamais.
Arthur se contentait de faire des ronds dans l'eau. Parfois, il interrompait brusquement son circuit et, sans raison apparente, entreprenait de changer de direction. Quoiqu'il en soit, il vivait toujours aussi intensément la théorie de l'éternel retour.
J'étais toujours dans mon lit. Je savais que le parquet serait très froid alors je retardais le moment douloureux où il me faudrait y poser le pied. Sans que je sus pourquoi, le tintement des gouttes d'eau sur les vitres m'évoqua spontanément une rengaine d'avant-guerre.
Rythme léger et dansant.
Je repensai au ciment.
A la Grande Motte.
Au camping et au bloc sanitaire.
J'eus envie de croire que c'était absurde, que cela n'avait aucun sens. Alors que ça en avait un. C'était sûr. C'est Freud qui l'a dit, d'abord.
La Grande Motte. Des immeubles en béton qui ressemblent à des Legos du troisième millénaire. Une grande plage. Du sable à perte de vue. Du ciment (mais pourquoi du ciment ?). Du sable dans l'œil. Des larmes. Du sable collé sur des pieds humides et ça fait mal dans les chaussettes.
Oui mais, et le ciment alors ?
Je conçus l'idée que j'étais un grain de sable.
La plage demeure plage même si on lui soustrait un grain de sable. Je pensai donc que, en tant que grain de sable, je n'étais pas nécessaire à la plage. Ce qui importe pour penser le concept de plage, c'est une certaine quantité de sable. Mais un grain de plus ou du moins, ça, la plage, elle s'en fout pas mal. Et alors ce serait ça l'humanité ? Une palanquée de grain de sables indifférenciés balancés en vrac près d'un point d'eau salée ? Voila une idée qui perdit vite de son charme et que j'eus tôt fait de ne plus trouver très séduisante. Il me fallait trouver autre chose. Parce qu'il fallait que tout ceci ait un sens. Parce que je ne pouvais me résoudre à n'être qu'un infiniment petit de troisième ordre.
Alors je repensai au puzzle.
Je ne voulais plus être un grain sable. Jamais.
Je voulais être une pièce du puzzle.
Je m'en rendais compte désormais. L'individu ne peut exister que s'il évolue dans un monde qui seul peut lui signifier son existence. Et je me sentais l'apparence d'une pièce de puzzle. C'est à dire abstrait et inutile lorsque je me considère isolément. Mais rempli de sens et de raison d'être si les autres pièces du jeu s'accordaient à me faire corps. Thomas hors du monde, c'est une pièce de puzzle hors de sa boite. Autrement dit, un non-sens. Une absurdité. Rien de plus qu'un accident, un imprévu, un numéro interchangeable. Or ce qui me plaisait avec le puzzle, c'était que même s'il comportait six milliards de pièces, l'absence d'une seule le rendait inexorablement imparfait. Parce que le but du puzzle, c'est justement la perfection de son assemblage, la cohérence de ses imbrications et la finalité accomplie de ce qu'il était censé représenter au départ (par exemple un puzzle de la Tour Eiffel n'est conçu pour rien d'autre que la représentation finale de cette Tour Eiffel). Voila pourquoi je préférais croire que le monde était un puzzle géant et que j'y avais ma place. Si j'étais une pièce de ce puzzle-là, ça signifiait que le monde avait besoin de moi. Et le Grand Hominarium allait permettre de faire passer chaque pièce de puzzle à la postérité et de cette manière pouvait-on produire le souhait de les voir un jour s'imbriquer les unes aux autres de la manière la plus naturelle qui soit.
Voilà une idée qui m'emballait déjà un peu plus. Je voulus dire des mots d'amour à ma couette tellement je m'y sentais bien. Arthur accéléra sa course. Il avait beaucoup grossi ces derniers temps. Peut être cherchait-il à éliminer. Je ne sais pas. Arthur était taciturne. Difficile dès lors de savoir ce qu'il avait dans la tête.
J'étais à deux doigts de me rendormir quand le radio-réveil me cracha Atomic de Blondie. Bien qu'allongé, je fis un bond. Un peu comme ces avions de l'armée de l'air qui décollent à la verticale. Je retombai mollement sur mon oreiller hypoallergénique.
"Aujourd'hui, pensai-je, je dois partir à la recherche de spécimen rares et d'importance majeures."
Deux heures quarante cinq plus tard, j'étais fin prêt à faire le premier pas vers le monde des humains. J'avais très peur. J'enfournai mon bloc-notes et un crayon de bois dans ma vache en cuir, respirai un bon coup. Puis sortis.

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