Thomas est tout seul, un projet original de création littéraire.



Thomas est tout seul
est un projet original de création littéraire où il vous est proposé de suivre en ligne et en direct la progression d'une (auto?) fiction.
L'un des objectifs de ce projet est de tester la possibilité d'un roman "participatif" intégrant l'avis ou le point de vue du lecteur dans le travail du rédacteur.
Vous êtes donc invités à prendre contact avec l'auteur-rédacteur afin de lui soumettre vos avis, souhaits, doutes ou suggestions. Ceci dans le seul but de faire exister Thomas et de déplacer la frontière entre la fiction et le réel.
Les différents textes à venir seront publiés dans leur ordre chronologique ("Jour 1", "Jour 2"...), prenez garde à ne pas lire les publications dans le désordre si elles se trouvent dans les archives, reportez-vous à la rubrique "libellés" qui fera office de sommaire.


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Bonne lecture !

Céline Raux.

mercredi 23 avril 2008

THOMAS - JOUR 9 -

Une barbe de trois jours. Cacolac. Doutes.

Le surlendemain, j'étais parvenu à me trouver en possession d'une douzaine de fiches. Que des bleues et des roses. La rencontre avec le troisième type n'avait pas encore eu lieu, ce qui était dommage parce que je remarquai qu'en réalité les gens se ressemblaient tous plus ou moins et qu'en règle générale, ils partageaient les mêmes préoccupations : 1- argent ou 1-famille ou 1-travail ou 1-famille
2- travail 2-argent 2-famille 2-travail
3- famille 3- travail 3-argent 3-argent

ou 1-argent ou 1-travail
2-famille 2-argent
3- travail 3-famille
Nota bene : pour les célibataires souffrants, la catégories "famille" devient "trouver l'homme/la femme de ma vie."
Mais cela ne devait pas m'inquiéter outre mesure. Après tout, le manque de diversité peut être patent même dans un puzzle. Comme lorsqu'on doit reconstituer un ciel et qu'on a affaire qu'à des pièces bleues. A ce moment-là, on ne peut compter que sur leurs formes pour les distinguer. Pour le reste, c'est kif-kif bourricot, bonnets blancs et blancs bonnets. Je repensai à Madame Rosa ainsi qu'à Sandra. Deux spécimen rares et d'importance majeure. Toutes deux cultivaient à leur manière de réelles aspirations, authentiques en ce sens qu'elles ne les poursuivaient que pour elles-mêmes et non pour quelque autre raison inessentielle ou contingente. Elles avaient toutes deux été profondément sincères. Rien dans leur choix ne se laissait guider par des déterminations extérieures. Ni l'une ni l'autre ne m'avait parler d'argent, de traites ou de loyer. Ni l'une ni l'autre n'avait évoqué ce désir fou de garer un jour un break dans l'allée du lotissement pour y caser des gosses et un labrador. Ni l'une ni l'autre n'avait fait part de son désir latent de bouffer son voisin pour gravir plus vite l'échelle sociale. A l'inverse, j'avais l'impression que la plupart des gens n'avaient plus d'idéaux comme si leur élan vital s'était mu en satisfaction passive de plaisir de supermarché. Les gens étaient repus. Ils n'avaient plus faim. Ils ne cherchaient donc plus à combler le manque. Ils s'ingéniaient seulement à se fabriquer de nouveaux désirs. Madame Rosa et Sandra étaient des électrons libres. Pas des rouages d'un système bien huilé.
Ma pensée tournait en rond et cela ne me menait nulle part. J'allumai une cigarette, comme ça pour voir. Mais une fois de plus, la fumée que j'avais inhalée devint aussitôt plaques de fontes dans ma tête. Tout cela n'eut pour effet que de me plonger dans une brume plus épaisse. L'odeur du tabac me fit l'effet d'un relent de cave. J'ouvris en grand la fenêtre pour humer l'air frais du matin. Accoudé au garde-fou, je dominai tant bien que mal la situation. Je jetai un coup à l'intérieur du salon et je vis qu'Arthur méditait sagement dans son bocal. Je lui trouvai un air circonspect. Il paraît que ce n'est pas correct de dire qu'un poisson affiche un "air circonspect". Mais je vous assure qu'Arthur communique parfois de véritables expressions, parfois même des mimiques. Arthur n'est pas comme les autres poissons. Il pense et reçoit des affects. La plupart des gens ne le croirait pas et prendrait du plaisir à dire que je suis fou. Mais encore une fois, il faut se rendre à l'évidence : les gens sont bourrés de préjugés. Et je sais qu'Arthur souffre de ceux dont sont victimes ceux de son espèces. Par exemple, nous nous obstinons à appeler "poisson rouge" ce petit vertébré non tétrapode dont l'écaille est en réalité de couleur orange, voire dorée quand des photons de lumière illuminent son écaille. Or, quand on ne dit pas la vérité c'est un mensonge. Et ça, ce n'est pas correct du tout. C'est toujours très vilain de mentir parce qu'alors, il se trouve toujours quelqu'un pour être trompé. Et s'il s'en rend compte, eh bien à ses yeux, on n'est plus digne de confiance. Et ça, c'est très très grave. Comme de se trouver une mauvaise excuse pour un travail qu'on a pas fait ou qu'on a rendu en retard. Considération morale qui me fit me rappeler la présence significative d'un manuscrit émaillé de fautes d'orthographes en attente sur mon bureau. Et que si je ne voulais pas sortir une excuse bidon à mon patron qui l'attendait de pied ferme, il fallait que je m'y mette de toute urgence. J'y vis une incitation au travail salarié.
Sauf qu'on sonna à l'interphone.
A peine avais-je eu le temps de m'asseoir à mon bureau qu'il me fallait déjà me relever. Malheureux évènements impromptus qui empêchent le besogneux de s'atteler à sa tâche...
Je décrochai le combiné de l'interphone. Une friture épouvantable me vrilla le tympan.
"Oui ?
- C'est Hervé, me répondit une voix de vieil aspirateur. Je peux monter ?
- Tu peux monter.
- Alors je monte ?
- Alors tu montes.
- Tu m'ouvres ?
- Je t'ouvre."
Déjà je regrettai ce choix que je classai d'emblée dans la catégorie des"pas judicieux", mais le fait est que j'ai toujours eu du mal à dire non.
Je pressai le bouton de l'interphone. Un long Si mineur enroué grésilla dans l'appareil et salua l'arrivée d'Hervé dans le hall de l'immeuble.
Quand Hervé et sa canadienne taupe prirent place dans le rotin de mon salon, je ressentis une désagréable sensation de déjà vécu. Je me demandai aussitôt si toute ma vie durant je serai obligé de chaque fois revivre ces visites ponctuelles qui par leur répétition agaçante me donnaient systématiquement l'impression de ne pas avoir avancé d'un pouce d'une semaine sur l'autre. Peu importaient les évènements ou la couleur du ciel, chaque fois Hervé, fidèle à lui-même, franchissait le seuil de mon appartement, il me semblait que je revenais au point mort. C'était d'autant plus désagréable que c'était vrai. Il faut être honnête, j'étais toujours au point mort. Et quand par acharnement je réussissais à passer une vitesse, voilà que je calais. Que je repassai au point mort. Et qu'Hervé me rendait visite.
C'était d'un mécanisme navrant.
Le seul changement notoire mais mineur (et donc sans grande probabilité d'incidence sur le cours des évènements) était qu'Hervé avait selon toute vraisemblance négligé de se raser depuis plus de trois jours. De plus, il avait recouvert sa calvitie d'un bonnet péruvien marron qui disséminait des peluches d'alpagas dans tout le salon au moindre courant d'air. Deux petits cordons de laine terminés par des glands prolongeaient la coiffe et pendaient lamentablement sur ses joues creuses. On aurait juré qu'il s'était vissé un de ces vieux abat-jour en macramé sur la tête. La raideur naturelle de son corps figé contribuait pour une bonne part à ce que l'on confonde Hervé avec un vieux lampadaire de dépôt-vente.
Hervé était d'humeur loquace. Il me servit un long monologue sur sa mère, son allocation chômage, les trains express régionaux, une chronique de France Culture, l'héliocentrisme de la Renaissance, la composition de la Vache qui rit et le messianisme de Joachim de Flore. Après quoi, sans doute à court de munitions, il marqua une pause. Mais dans l'épais silence qu'il avait malgré lui installé, il ne put s'empêcher de lâcher ce nouvel obus :
"Est-tu d'avis qu'il faut reconnaître un statut ontologique au concept d'angoisse?"
Je me levai et me dirigeai vers le réfrigérateur. Je pris une petite brique de Cacolac. Une de ces petites briques où le petit sachet plastique d'une paille se trouve collé sur le rebord. Je me munis également de mon bloc-note que j'avais laissé sur la table de la cuisine. Je revins dans le salon où Hervé se tenait encastré dans le rotin. Il avait profiter de mon absence pour saisir mon Rubik's Cube qui traînait par-là. Il avait la mine réjouie du type qui a réussi à en reconstituer toutes les faces en moins de trois minutes. Le trait rouge de ses lèvres plates s'était courbé et élargi. Phénomène physiologique qui signifie "sourire".
"Sais-tu combien d'algorithmes de résolution il existe pour un cube de vingt-quatre facettes par côté, demanda Hervé en exhibant mon Rubik's Cube comme s'il s'était agi d'une pièce rare.
- Aucune idée. Tiens, je t'ai ramené un Cacolac."
Il saisit la brique. Détacha la paille et sembla prendre un certain plaisir à la planter dans la petite opercule en aluminium. Il but d'une traite et aspira par la paille jusqu'à ce que les six faces de la brique se rétractent dans un bruit de carton plié.
" Naturellement, on sait que le couronnement des Éléments d'Euclide est la construction des cinq polyèdres réguliers, ce qui, en substance, revient à la détermination des groupes finis de rotations dans l'espace à trois dimensions."
Craquement de rotin.
"Hervé, finis-je par demander, je peux te poser une question ?"
Il cillat.
"Oui.
- Je me demandai, c'est quoi ton aspiration fondamentale dans la vie ?"
Il cillat. Il cillat encore. Il cillat une troisième fois. Il contorsionna sa lèvre inférieure avec une moue bizarre.
D'une voix traînante il articula cette demande de précision :
"Parles-tu de cette notion développée par Kurt Lewin qui permet l'analyse de l'influence du succès ou de l'échec sur les conduites ? Au tel cas il faut savoir que la motivation est un construct qui s'opposerait à l'intelligence ou à l'aptitude."
Rester calme et pondéré. Rester calme et pondéré. Rester CALME et PONDERE.
Hervé est mon ami. Hervé est mon ami. Hervé est mon ami et je ne m'énerve pas. Je ne m'énerve pas parce qu'Hervé est mon ami.
Calme. Courtoisie. Pondération.
Hem.
Pour ne pas paraître désagréable, j'enrobai ma voix de toutes les fioritures ayant contribué à la gloire de l'art baroque :
" Non, Hervé. C'est beaucoup plus simple que ça. Je voudrais simplement savoir vers quoi est-ce que tu orientes chaque jour tout ton être. De quelle manière est-ce que tu souhaites actualiser au mieux les potentialités de ton essence ?"
Je faisais autant d'efforts pour me faire comprendre que si je parlais à un sourd. Une furtive étincelle traversa son regard. Il répondit enthousiaste :
" Le Savoir Absolu.
- Hein ?
- Mon esprit tend vers le savoir absolu tel qu'il fut célebré par Hegel.
- Et ça te mène où, demandai-je interloqué."
Il marqua une pause puis finir par répondre d’un ton neutre :
"Absolument nulle-part."
Il me fallait chasser un doute. Je poursuivis prudemment :
"Et ta couleur préférée ? Laquelle c'est ?"
Cette question interloqua Hervé :
"Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Pourquoi, diantre, devrai-je avoir une couleur préférée ?
- Tout le monde a une couleur préférée, retorquai-je.
- Alors par induction tu crois que j'ai certainement une couleur préférée ?
- C'est probable en tout cas.
- Mais pas nécessaire.
- Si tu le dis.
- Mais quelles raisons irrationnelles aurai-je de préférer telle couleur au regard de telle autre ? Quels sont ces enfantillages ?
- Alors tu reconnais ne pas avoir de couleur préférée ?
- Je n'ai pas de couleur préférée. Je suis un animal rationnel, moi."
Je ne savais pas trop si c'était rationnel ou pas d'avoir une couleur préférée, mais quoiqu'il en soit, ça me parassait humain et pas du tout insensé. Par exemple, moi j'aime bien le rouge parce que c'est une couleur dynamique qui donne du peps. Et je n'aime pas le rose car cela me fait toujours penser aux romans de Barbara Cartland que je trouve abominables. Et quand je regarde le soleil qui se couche à la campagne un soir d'hiver et que je contemple cet horizon où le ciel plein d'une douce et chaude lumière dévoile ses palettes de rouge, d'orange, et de rose (pas le même que celui de Barbara Cartland cela s'entend) et que toutes ces couleurs, déclinées en une infinité de nuances, s'accrochent à quelque nuage d'altitude comme un trait de pinceau tendu sur la toile, quand le bleu de la nuit s'assombrit pour mieux faire jaillir cette magnifique explosion de couleurs et de lumières, quand tout rougeoit et que les ombres s'allongent dans les prés, et bien quand ce spectacle s'offre à moi je ne peux m'empêcher de penser que s'il est permis aux hommes de contempler tant de beauté, c'est qu'il doit y avoir une certaine quantité de bien qui fait se mouvoir le monde. Et en même temps, je me demandais s'il est un homme qu'un tel spectacle aurait laissé parfaitement insensible.
Mais il en existait au moins. Il s’appellait Hervé. Il n'aimait rien tant que réfléchir. En conséquence, il n'avait goût à rien et ne désirait rien.
Chaque fois, Hervé suscitait en moi d'intenses refléxions sur le genre humain. Je commençais à être traversé par d'horribles doutes que je chassai pour un temps de mon esprit.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'attends la suite avec impatience. Bonne continuation! :)

C.

Anonyme a dit…

T'as déjà une idée de combien de chapîtres tu comptes écrire et comment ça va se terminer?