Thomas est tout seul, un projet original de création littéraire.



Thomas est tout seul
est un projet original de création littéraire où il vous est proposé de suivre en ligne et en direct la progression d'une (auto?) fiction.
L'un des objectifs de ce projet est de tester la possibilité d'un roman "participatif" intégrant l'avis ou le point de vue du lecteur dans le travail du rédacteur.
Vous êtes donc invités à prendre contact avec l'auteur-rédacteur afin de lui soumettre vos avis, souhaits, doutes ou suggestions. Ceci dans le seul but de faire exister Thomas et de déplacer la frontière entre la fiction et le réel.
Les différents textes à venir seront publiés dans leur ordre chronologique ("Jour 1", "Jour 2"...), prenez garde à ne pas lire les publications dans le désordre si elles se trouvent dans les archives, reportez-vous à la rubrique "libellés" qui fera office de sommaire.


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Bonne lecture !

Céline Raux.

mardi 15 avril 2008

THOMAS -JOUR 8 -

Incoming contact. Sandra. Disco. La découverte du zygomatique.

J'y étais donc parvenu. J'avais une fiche. Je détenais une pièce du puzzle. Je me sentais tout abasourdi par ma mon audace. Il avait suffi d'entrer dans ce magasin pour que cette femme m'ouvre son âme tout de go. A moi. A moi qui n'étais même pas fichu de demander l'heure ou mon chemin à des inconnus croisés dans la rue. A moi qui ne sait même pas alimenter une conversation de plus de trois phrases. Elle m'avait parlé. Mais peut être était-ce une entrée en matière un peu facile. Après tout je n'en étais qu'au stade "débutant". Je n'avais pas encore idée des difficultés insurmontées qui m'attendaient au stade "intermédiaire" et je ne parle pas du stade "expert" qui devait par la suite m'exposer à bien des surprises. Quoi qu'il en fut, ce jour s’annonçait sous de palpitants augures. Je ne comptais donc pas en rester là. Gonflé d’assurance par le succès de ma démarche auprès de Madame Rosa, je voulus continuer. J’étais déjà plus fort, plus serein.
Je regagnai à nouveau la rue déserte en criant « I’ve got the power ! ».
J’étais content.
C’est alors que je vis, assise sur le gisant de pierre jouxtant la cathédrale, une jeune femme boursouflée qui engloutissait un éclair au chocolat. Sa permanente new-wave, les grandes créoles fluos qui pendaient à ses oreilles et son pantalon-fuseau bariolé témoignaient d’un retard d’une ou deux décennies quant aux canons de la mode. Elle me fut d’emblée sympathique. Je me dirigeai vers elle, mine de rien. Ma terreur précédente s’était mue en une simple et naturelle inquiétude. Je pris place à côté d’elle sur la cuisse granitique du gisant. Puisse le feu-propriétaire de ce monument féodal me pardonner l’incivilité patente de ce geste. L’objet de mon attention disposait d’un Walkman greffé aux tympans. Une barrette bleue en forme de dauphin enserrait ses ondulations artificielles. On devinait un rouge à lèvre fushia sous les bavures de crème pâtissière. Selon toute vraisemblances, elle faisait peu de cas de la proximité soudaine de ma personne. J’en profitai pour mettre au point mon allocution de présentation du Grand Hominarium. Je craignais qu’elle soit mal-comprenante à l’endroit de mes nobles intentions.
« Bonjour, je m'appelle Thomas, lançai-je d'une voix posée et chic que je ne me connaissais pas.
- Hein ? »
Elle libéra son tympan droit de sa greffe audio, renonçant pour un temps à la stéréo.
« Je m’appelle Thomas, repris-je.
- Ah ouais ?
- Je ne suis pas là pour vous draguer, crus-je bon de préciser mais elle parût déçue.
- Ah bon.
- Je voudrais juste vous posez quelques questions. Les réponses resteront confidentielles et anonymes, cela s’entend.
- Ah ouais ? Comme un genre de sondage ?
- Euh oui, c’est ça. C’est un sondage. C’est le mot.
- Chouette. J’aime bien les sondages. »
Elle ôta ses écouteurs et souriait de toutes ses dents, la bouche grande ouverte.
« Y a un truc à gagner ? Des bons d’achats ? Des réductions ?
- Euh non. Pas exactement... »
Elle haussa les épaules d’un air résigné. Je ne savais pas si elle souriait toujours ou si elle avait omis de refermer sa bouche. Elle fourra ses mains dans les poches de sa veste en jean.
« Ca ne fait rien, dit-elle. Tant pis. J’veux bien répondre quand même. Au fait, je m’appelle Sandra.
- Très bien Sandra. Commençons.
- Cool.
- Qu’elle est votre aspiration fondamentale, lui demandai-je.
Elle cligna des yeux trois fois, interloquée, la bouche ouverte :
- Ma quoi ?! C’est un sondage médical votre trucmuche-là ?
- Mais non, vous ne me comprenez pas. Je veux juste savoir quel est, disons, votre « but » fondamental dans la vie.
Elle sembla déjà mieux saisir l’objet de ma question.
- Ah ouais. Bah je sais pas si c’est fondamentionnel comme vous dites-là, mais mon rêve c’est d’aller en Suède sur les traces du groupe Abba - elle gloussa- vous connaissez Abba ?
- Oui, oui. Votre plus grande crainte ?
Elle réfléchit jusqu’à ce que ses sourcils se rejoignent à l’arrête de son nez. La peau de son front plissait sous sa frange. Elle répondit :
- Ne pas rencontrer le prince charmant qui m’emmènera en Suède.
- D’accord. Maintenant, ce qui vous ferez super plaisir là tout de suite ?
La réponse fut spontanée :
- Rencontrer le prince charmant qui m’emmènera en Suède sur les traces du groupe Abba ! »
J’eus vaguement l’impression de tourner en rond, comme Arthur ou plutôt comme ces chiens qui courent stupidement après leur queue. On ne s’en sortait pas. Mon interlocutrice me consternait. Pourtant, il ne fallait pas que je la juge, ni que j’applique quelque jugement de valeur à son égard. Toutes les pièces de puzzle sont d’importance égale, après tout. Je repris donc le questionnaire.
« Vous êtes plutôt kebab ou plutôt hamburger ? »
Pour le coup, difficile de caser Abba dans la réponse.
« Hamburger, se contenta-t-elle de répondre.
- La chanson que vous écoutez les jours où vous êtes triste ?
- Knowing me, knowing you d’Abba.
- Surprenant. La chanson que vous écoutez les jours où êtes gaie ?
- Knowing me, knowing you d’Abba.
- Votre couleur préférée ?
- Il est bizarroïde votre sondage ! Vous êtes pas un témoin de Jéhovah quand même ? »
Je restais calme et tout sourire.
« Mais non, la rassurai-je. Votre couleur préférée ?
- Ouf, j’aime mieux ça parce que j’ai pas du tout envie de m’abonner à quelque religion que ce soit. J’ai déjà les réunions Tupperwear qui me prennent assez de temps comme ça et puis ça coûte ! Faut que j’économise pour la Suède, voyez-vous.
- Je vois. Votre couleur préférée ? Alors ?
- Ah oui. Le jaune fluo. On dit que c’est la couleur de l’espoir le jaune fluo. »
Les pantoufles de Papy Mégot vinrent racler le sol à quelques mètres de là. Une partie de son corps disparut dans la poubelle.
Mauvaise pioche, elle n’offrait rien de bon aujourd’hui. Il repartit bredouille. J’eus de la peine pour lui. Sandra souriait toujours de sa grande bouche béante.
« Thé ou café ?
- Thé citron !
- Quand vous avez un bout de papier devant vous, vous préférez le plier ou l’enrouler ? »
Elle darda ses grands yeux fixes sur moi.
« Vous êtes sur que vous ne faites pas partie d’une secte ? »
J’acquiesçai, réprimant un profond soupir.
« J’en sais rien, reprit-elle. Je crois que j’enroulerai le papier. »
Sandra appartenait donc à la catégorie des enrouleuses. Je pris note. Et poursuivis :
« Votre péché mignon ?
- Chanter Dancing queen d’Abba sous la douche. Mais je chante en yaourt.
- En yaourt ?
- Oui, c’est une expression. Ca veut dire que je chante n’importe quoi parce que je comprend que dalle à l’anglais. Alors je fais du yaourt. Ca ressemble à de l’anglais mais c’est du yaourt.
- Ah. Et votre dernier péché tout court ?
- Je savais bien qu’on y arriverait à la religion ! Mon dernier péché, voyons... Ah si, j’ai raconté un bobard pour sécher la réunion Tupperwear chez Josiane. »
Je ne cherchai pas à en savoir davantage sur les motifs de ce grave mensonge. J’enchaînai :
« Votre leitmotiv dans la vie ? Enfin, je veux dire la petite phrase qui fait du bien que vous aimez vous répéter en cas de besoin ?
-...
- Vraiment ? Faites un effort. Tout le monde a un leitmotiv.
- Euh. Noël à Paques, tisons sur le balcon ? »
J’explosai de rire. Je ne savais pas que j’en été capable. Je venais d’acquérir une connaissance fondamentale des sciences humaines : les gens peuvent être hilarants. Sandra me regardait éberluée. Je me tordais de rire. Même le gisant devait se marrer mais cela ne se voyait pas à cause de son corps en granit. Je dû lâcher mon bloc-notes pour m’essuyer mes yeux pleins de larmes.
« Bah quoi ? J’ai dit quelque chose de drôle ? Ca marche pas comme lémotive ?
- HI ! HI ! HI ! »
Je m’esclaffai. Quelques passants me regardaient étonnés. Certains riaient. D’autres changeaient de trottoir. En tout cas, je ne passais pas inaperçu. Je me tenais les côtes. Ce-jour devait correspondre pour moi à la reconquête de mes zygomatiques.

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