Thomas est tout seul, un projet original de création littéraire.



Thomas est tout seul
est un projet original de création littéraire où il vous est proposé de suivre en ligne et en direct la progression d'une (auto?) fiction.
L'un des objectifs de ce projet est de tester la possibilité d'un roman "participatif" intégrant l'avis ou le point de vue du lecteur dans le travail du rédacteur.
Vous êtes donc invités à prendre contact avec l'auteur-rédacteur afin de lui soumettre vos avis, souhaits, doutes ou suggestions. Ceci dans le seul but de faire exister Thomas et de déplacer la frontière entre la fiction et le réel.
Les différents textes à venir seront publiés dans leur ordre chronologique ("Jour 1", "Jour 2"...), prenez garde à ne pas lire les publications dans le désordre si elles se trouvent dans les archives, reportez-vous à la rubrique "libellés" qui fera office de sommaire.


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Bonne lecture !

Céline Raux.

jeudi 10 avril 2008

THOMAS -JOUR 6 -

Pas un chat. Un mainate. Madame Rosa. Je me lance.

Dehors il faisait très froid et la pluie s'était changée en bruine. Un regard circulaire sur la rue devait me permettre de choisir ma première cible. Papy Mégot apparut à l'angle de la rue mais je considérai qu'il s'agissait d'un spécimen encore trop difficile pour le débutant que j'étais. Mais en raison de conditions atmosphériques défavorables, peu de gens traînaient dans la rue et ceux qui s'y étaient aventurés pressaient leur pas en remontant leurs épaules au-dessus du niveau de leur tête. De sorte qu'au final, j'assistai sans rien faire à une tragique désertification urbaine.
Il n'y eut bientôt plus qu'un chat. Lequel chat courut s'abriter sous une voiture en stationnement.
Du coup, il n'y eu plus de chat de tout. Et je me retrouvais seul.
J'examinais la situation et projetai donc de me rendre chez un commerçant. J'exclus d'abord le buraliste car j'étais à peu près sûr qu'il se moquerait ouvertement de moi et que sa femme se joindrait au concert. Je n'avais pas encore assez d'assurance pour assumer ça. Après il y avait la dame du magasin de lingerie. Je savais qu'elle passait pour être nymphomane et qu'on racontait de drôles de choses sur elle. Or je n'étais pas certain d'être capable de défendre mon intégrité physique en cas de tentative de viol. L'antiquaire était fermé parce que nous étions lundi. Et de toute façon, l'odeur d'encaustique m'intimidait excessivement.
Par chance, il me restait la fleuriste, Madame Rosa.
Je poussai timidement la porte du magasin. "Timidement" n'est peut être pas le bon mot. En réalité, j'étais terrorisé. Je pénétrai dans le magasin et un petit "gling-glung-glong-gling" cristallin résonna dans la pièce.
Je fus d'abord accueilli par un mainate perché entre deux espèces de yuccas échevelés parés de deux grandes étiquettes m'informant qu'il s'agissait de baucarnea recurvata.
"Dehooors ! Ou j'appelle la poliiiice ! J'appelle la poliiiice ! La poliiiice ! Mauriiice !
- Ferme-là Nicolas ! ordonna la voix chantante mais ferme d'une femme. Tu vas faire fuir le client !"
Une grande dame corpulente déboula de derrière une rangée d'orchidées. Ses cheveux étaient multicolores et hirsutes. Une mèche rose bonbon lui barrait le front. Sa robe en patchwork ressemblait à un grand plaid de pique-nique négligemment jeté sur ses épaules. Elle avait du se maquiller avec une truelle tellement les placards de fond de teint luisant sur sa peau paraissaient grossiers (et de fait ils l'étaient). Le ravalement semblait si frais qu'on s'attendait à y trouver encore des échafaudages.
"Nicolas est incorrigible, expliqua-t-elle, je ne sais pas d'où ça vient mais il passe son temps à piailler les flics. Ne vous inquiétez pas il ne sait pas encore se servir d'un téléphone.
- Le dix-sept ! C'est la poliiiice ! Allô j'écouuute ! La poliiice ! Mauriiice !
- Bon ça va, on a compris ! Tu peux te taire maintenant ?!"
Le mainate se tut un instant puis, discrètement, sifflota la Marseillaise. Quant à moi, je me trémoussai dans mes chaussures avec un sourire niais pour signifier tant bien que mal mon indulgence à l'égard de ce volatile de foire. Madame Rosa, puisque c'était elle, sourit à son tour. Ce qui eu pour effet de faire jaillir ces pommettes saillantes et de découvrir un râtelier de dents jaunies.
" Que puis-je faire pour vous mon cher monsieur ?
- Euh... Eh bien c'est à dire que... Enfin voila, en fait je venez pour...
- Plutôt une plante, un bouquet, une composition ? J'en ai là de ravissantes mais ça dépend. C'est pour quelle occasion ? Mariage, baptême, anniversaire, obsèques?"
J'étais à deux doigts de lui acheter tout le stock tellement j'avais peur du ridicule de ma requête. Mais il n'était pas question que je me défile.
Je me jetai à l'eau.
" Eh bien, c'est à dire qu'en fait je ne viens pas pour acheter des fleurs. J'aimerai juste vous poser quelques questions...
- Vous êtes de la police, s'inquiéta-t-elle ?
- Poliiiice, repris le mainate en aparté.
- Je vais t'arracher le bec espèce de gestapiste, hurla Madame Rosa à Nicolas."
Madame Rosa me regarda en cillant très vite. Ces cils étaient si longs que je m'attendais à ce qu'ils produisent quelque courant d'air lorsqu'elle les faisait battre.
Je repris calmement :
"Non, non, je ne suis pas de la police. Je m'appelle Thomas, j'habite au bout de la rue...
- On ne vous vois pas beaucoup. Je ne me rappelle pas vous avoir déjà vu.
- C'est que je sors très peu, répondis-je penaud. Et je n'ai pas tellement l'occasion d'acheter de fleurs non plus. Mais je ne suis pas de la police... En fait, je fais une enquête sur les gens. C'est une enquête anonyme, bien sûr. Je veux les inventorier selon leurs goûts, leurs aspirations, leurs crainte. L'humanité... tout ça. C'est un Grand Hominarium, vous comprenez ?
- Pas bien, non. Mais vous allez m'expliquer tout ça. N'est-ce pas Thomas ?"
D'un geste suave elle tenta de dégager la mèche rose bonbon. J'étais soulagé. Elle acceptait de m'écouter, de me consacrer cinq minutes de son précieux temps. Il faut dire aussi qu'il n'y avait personne d'autre dans la boutique. Je lui racontait alors comment m'était venue l'idée d'un Grand Hominarium. Comme elle était fleuriste, elle connaissait très bien les herbiers de Lamarck et Buffon et se faisait une joie d'en discuter avec moi. Puis je lui lus la note préliminaire au Grand Hominarium que j'avais déjà rédigée. Elle s'enthousiasma. Alors je pris de l'assurance et lui racontait tout. L'histoire du grain de sable et de la pièce de puzzle, mon refus d'être un infiniment petit de troisième ordre... Chaque fois, elle acquiesçait d'un air convaincu. Je me laissai emporter par le flot de mes paroles. Ca faisait du bien. Je ne me souvenais pas avoir jamais parler à quelqu'un avec autant de verve. Je commençai même à perdre les pédales et mes digressions ont fini par nous égarer tout deux. Je crois qu'elle n'a pas bien saisi le coup du ciment derrière le bloc sanitaire du camping de la Grande Motte car à ce moment-là, elle me regardait toujours en souriant mais son sourire s'était figé dans une expression dubitative. Nicolas, quant à lui, boudait sur son perchoir car il n'avait pu en placer une.
"Alors vous acceptez de répondre à mes questions, demandai-je implorant.
- Oh oui ! Oh oui ! Ce projet est merveilleux ! Admirable ! Voila une noble intention qui réchauffe l'âme, s'enthousiasma-t-elle.
- Bien, je sors mon bloc-notes..."
Ses yeux pétillaient de joie sous l'auvent de ses longs cils. Une légère érubescence colorait ses joues. Chacun de ses muscles semblaient frétiller d'une excitation infantile sous le drap en patchwork.
Elle ne fit pas que répondre à mes humbles questions. Elle me raconta sa vie. Elle pleura quand elle m'avoua que tout le monde la traitait d'alcoolique dans son dos. Pourtant c'était vrai, reconnut-elle. Elle buvait jusqu'à vingt demis par jours. Elle avait honte parce qu'elle faisait figure de pochtrone mais c'était plus fort qu'elle, avait-elle dit. Elle était si seule. Son mari était parti parce qu'il déclara une allergie aiguë au pollen alors que sa femme cultivait sa passion des fleurs. Cela avait créé une tension dans le couple parce qu'il voulait qu'elle choisisse entre lui ou le magasin. Elle avait d'abord choisi de ne pas choisir mais lorsqu'il commença à la tromper avec l'allergologue et que la rumeur se propagea dans toute la ville, elle choisit les fleurs. Depuis elle était seule avec ses rhododendrons, ses demis, son mainate fasciste et ses colorations capillaires. Et puis les clients qui la distrayaient. Quand il y en avait. Elle ne croyait pas qu'elle était malheureuse. C'était la première fois depuis des mois qu'elle pleurait, affirmait-elle, alors qu'elle souriait et riait tout les jours. Cela devait prouver qu'elle n'était pas malheureuse, qu'elle n'avait pas complètement raté sa vie. "N'est-ce pas ? C'est une preuve ça, non ?"

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